Ayant lu certaines mauvaises critiques sur ce film, je prends ma plume pour le défendre résolument. Je trouve que le thème de la faiblesse est vraiment bien traité; cette faiblesse touche d'ailleurs aussi Susan qui n'a su résister elle-même à la doxa familiale fondée sur la force, l'argent et le pouvoir. Par ailleurs, le "livre filmé" réussit à faire rentrer le spectateur dans la tête d'Edward en en sondant, au travers l'histoire du "livre", toute la détresse, tout le tragique liés à la rupture et à l'avortement. Ce jeu de miroirs est beaucoup plus fin que je ne l'ai lu dans certaines critiques. Montrer de la sorte comment un "livre" permet l'introspection et l'exploration des sentiments de l'autre (en l'occurrence l'auteur), j'ai trouvé cela fort. L'interaction entre les différents niveaux de l'histoire renvoie aussi à l'interaction entre film et spectateur, spectateur avec lequel Tom Ford semble jouer parfois. Un jeu très réussi sur la distanciation, sur l'interaction entre art et réalité. Le ton est d'ailleurs donné dès la première scène.
Le mélange de beauté et de laideur est omniprésent et rend compte de l'absurdité du monde qui fait prendre parfois les mauvaises décisions: dès le début sous forme esthétique quand la belle Susan est assise à côté d'un corps de femme difforme exposé dans la galerie, et aussi sous forme morale, la bonté du père (dans le "livre") se mélangeant à sa relative lâcheté.
Que de la faiblesse d'Edward, naisse cette histoire (le thriller imbriqué) aussi forte, et donc que la vengeance des faibles s'exprime dans la créativité artistique, j'ai adoré aussi. Ces représentations de l'art absurde (galerie) et de l'art rédempteur (livre) sont réussies.
La dernière scène au restaurant, que j'ai trouvée excellemment mise en musique, fait passer avec force - et sans un mot! - l'attente amoureuse et la tristesse qui suit. L'absent, celui que Susan a laissé, le "loser", est finalement incroyablement présent tout le film. La revanche d'Edward est surtout là.
La construction, complexe à 3 niveaux, est si bien maîtrisée qu'il est très simple de la suivre. Là où certains voient de l'esthétisme gratuit, j'y ai vu de de la finesse. Bref, pour moi, c'est un très bon film.